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Il ne s’agit pas tant d’aimer les animaux mais de reconnaître notre interdépendance avec ces êtres sensibles qu’on fait souffrir.

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aimer les animaux

« Il ne s’agit pas tant d’aimer les animaux mais de reconnaître notre interdépendance avec ces êtres sensibles qu’on fait souffrir. 60 milliards d’animaux terrestres sont tués chaque année. On transforme l’animal en objet de consommation, en machine à faire des saucisses et tout le monde y perd, eux d’abord mais nous aussi.

On y laisse notre conscience morale, notre santé et notre avenir environnemental. Nous avons énormément progressé dans les droits de l’homme alors que nous réduisons les animaux à leur valeur marchande ou utilitaire. On ne respecte pas le fait qu’ils puissent souffrir et méritent d’être en vie. Il ne s’agit pas d’humaniser l’animal mais d’étendre notre bienveillance à tous.

Quand je vois qu’un oiseau comme la barge rousse vole sur 10000 km en se guidant avec les étoiles et que moi, je me perds dans les rues à Paris, je constate qu’elle a des qualités que je n’ai pas. Nous ne sommes qu’une espèce parmi un million six cent mille, alors un peu de modestie !

Les australopithèques étaient à 83% végétariens.

La viande a longtemps été presque un luxe, un appoint rare, lorsque le chasseur par exemple trouvait un animal mort. Il y eut ensuite une longue période carnivore avec l’homme de Neandertal. Enfin, il y a 12 000 ans, avec la sédentarisation, on assiste à un essor de l’agriculture et de l’élevage. On domestique peu à peu le loup, le cheval, la chèvre, puis le chat en Egypte il y a 3000 ou 4000 ans et ce passage aux animaux d’élevage change le rapport de l’homme à l’animal. Ce qui est intéressant, c’est qu’au même moment, chez les Sumériens, on note l’apparition de l’esclavage humain ! L’idée est instituée qu’on va pouvoir désormais utiliser d’autres êtres vivants à notre profit. C’est un même processus de dévalorisation de l’autre.

Pour l’homme préhistorique, comme de nos jours pour des sociétés de chasseurs cueilleurs comme il en subsiste encore en Amazonie, l’animal est différent mais pas inférieur. Il est même parfois l’incarnation d’un esprit que l’on redoute ou l’on vénère pour sa force supérieure. Même nos meilleurs sportifs, rappelons-le, ne nagent qu’à la vitesse d’une carpe et ne courent qu’à l’allure d’un chat… Alors, pour préserver leur équilibre moral et mental, les sociétés qui ont domestiqué et fait souffrir l’animal ont éprouvé, du même coup, le besoin de le dévaloriser pour justifier leur comportement. En le déclarant inférieur et sans sensibilité, on peut s’en nourrir en toute tranquillité.

La plupart des religions monothéistes regardent l’animal comme un bien créé pour la consommation ou du moins l’usage de l’homme.

Ne pas le manger serait négliger le don que Dieu nous a fait. Et ceux qui ne le mangent pas, le font pour des raisons de frugalité, de pénitence ou d’interdit face à la chair de l’être impur. Il y a des exceptions cependant, des voix de compassion dans toute l’histoire : dans le christianisme, Saint Jean Chrysostome ou Saint François d’Assise ou, dans la Grèce antique, Ovide ou Plutarque, grand avocat du végétarisme. Théodore Monot rapporte aussi cette histoire d’un maître soufi marocain (une exception dans l’islam) qui, pendant qu’il enseignait, vit un oiseau tombé du nid et demanda à ses disciples de relever celui qu’il présenta comme l’un de ses « semblables ».

Un mot que n’auraient jamais employé bien des humanistes. Enfin, n’oublions pas les 450 millions d’Indiens végétariens, la communauté la plus importante au monde avec ces champions que sont les Jaïns, strictement respectueux de toute vie. C’est l’Inde qui a fait découvrir, au XVIIème siècle aux voyageurs européens, une civilisation respectueuse des animaux.

On ne peut pas se nourrir de la souffrance et de la mort d’êtres sensibles.

Un soutra dit : « Manger de la viande détruit la grande compassion ». Avec quelques nuances cependant : dans le bouddhisme du petit véhicule (Théravâda), le moine ne doit pas manger un animal qu’il a tué lui-même ou qui a été tué à son intention, alors que dans le Grand véhicule (Mahayana), on fait vraiment voeu de compassion : il n’est pas question de faire de notre corps un cimetière. Tous les moines chinois sont ainsi strictement végétariens. Au Tibet, à l’époque ancienne sans route ni communication, vous n’aviez du lait et du yaourt que trois mois de l’année et le reste du temps de la farine d’orge, du beurre et de la viande séchée : être végétarien dans ces conditions était une vraie ascèse !

Aujourd’hui, les monastères tibétains en Inde n’introduisent plus de viande dans leurs cuisines. Dans le monastère de 600 moines où je vis au Népal, le végétarisme n’est pas une obligation stricte mais on n’achète ni ne cuit de viande afin de ne pas alimenter le marché de l’offre et de la demande. La moitié des moines sont devenus végétariens.

C’est mon choix depuis 47 ans !

Mes maîtres spirituels l’étaient et pour moi c’est une évidence car comment prêcher la compassion et tuer pour manger ? Les études scientifiques nous rejoignent aujourd’hui montrant que manger de la viande n’est pas un besoin.Même des champions olympiques comme le coureur Carl Lewis se passent de viande. L’idée qu’on a besoin de protéines animales pour survivre est fausse. Et je constate un essor du végétarisme chez les jeunes qui se mobilisent pour la question environnementale. Manger moins de viande n’est pas seulement moral, mais c’est un moyen de rester en bonne santé et de ralentir le changement climatique. Sans que s’impose le 100% végétarien, la tendance va vers cette prise de conscience.

C’est ce que j’appelle un progrès de civilisation. Il y a encore 300 ans, on torturait l’homme sur la place publique, on allait voir une exécution le dimanche comme on va voir aujourd’hui un match de foot. Il y a eu une évolution incroyable vers l’empathie et le respect de l’autre et elle va continuer. Aux Etats-Unis, pays de cow boys et de chasseurs, il n’y a que 4% de végétariens mais parmi les étudiants d’université, le chiffre monte à 20%.En France, les végétariens sont désormais aussi nombreux que les chasseurs.

La plupart des pays européens ont intégré la notion « d’être sensible » dans leur loi. On reconnait par là qu’il est scientifiquement prouvé que les animaux ressentent la douleur. Pour les Finlandais, les animaux ont même une conscience ! En France, le 14 avril dernier, la commission des lois de l’Assemblée nationale a reconnu aux animaux le statut d' »êtres vivants doués de sensibilité », et ce en conformité avec l’opinion majoritaire des Français. Mais il n’y a pas encore de décret d’application, le processus étant bloqué par ses opposants… Je suis frappée par l’incohérence morale de notre société sur cette question des animaux !

Il y a en comme une schizophrénie.

Si seuls 14% des Français affirment leur désaccord avec l’élevage pour la viande, 65% seraient dérangés d’assister à l’abattage. On cache les abattoirs ! Jamais le film Terriens, qui montre les conditions de l’abattage industriel de la viande, n’a pu passer à la télévision. On ne veut pas choquer les plus jeunes par cette réalité « dérangeante ». On constate, par ailleurs, que 50% des enfants de classes moyennes à Chicago ne font pas le lien entre le steak du hamburger et l’animal réel. D’où vient le steak ? Des supermarchés ! Et avant ? De l’usine !

Et lorsqu’on leur apprend qu’il s’agit d’un animal, ils n’y croient pas. C’est un fameux paradoxe qu’une société où on vénère ses animaux de compagnie et où la compassion s’arrête au bord de l’assiette. L’an dernier, on a beaucoup médiatisé le geste inhumain de cet homme qui a été filmé jetant un chat contre un mur. Tout le monde s’est mobilisé, l’homme a été condamné, le chat sauvé, c’est bien ! Mais qui s’est ému que, le même jour, 500 000 animaux – parfois jusqu’à 1000 porcs à l’heure ! – aient été abattus dans des conditions épouvantables ? ».

Matthieu Ricard

Matthieu Ricard c’est qui ?

Matthieu Ricard est un moine bouddhiste français, écrivain et photographe, connu pour son engagement dans la promotion du bouddhisme et de la méditation dans le monde occidental. Il est né en 1946 à Aix-les-Bains, en France, et a mené une vie variée avant de devenir moine en 1972. Ricard est également diplômé en génétique cellulaire. Il est l’auteur de plusieurs livres à succès sur le bouddhisme, la méditation et le bonheur, et il est souvent invité à donner des conférences et des entrevues sur ces sujets. Sa pratique et ses enseignements sont profondément influencés par le bouddhisme tibétain, notamment par son maître spirituel, Dilgo Khyentse Rinpoche.

Publié par Teddy Tanier

Passionné par la poésie et la littérature depuis tout petit j'ai toujours aimé écrire seul dans la nuit quand la journée s'éteint. Car cette atmosphère me transporte et me fait voyager, elle m'inspire et me rassure. On peut encore rêver. J'aime l'art et particulièrement les livres c'est pour cela qu'Inspirant me permet de présenter des auteurs connus et moins connus pour faire partager ma passion et rendre hommage aux grands écrivains ou philosophes.

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J’apprécie désormais la solitude, alors que j’ai longtemps redouté cet état.

Il faut rester fidèle à soi-même, indépendamment des attentes ou du jugement des autres